Réaction au stress : déterminisme physiologique ?

Confort dans l'inconfort, le mythe du XXIème siècle

Quand je travaillais dans le monde des startups, mon supérieur m'avait demandé si je pouvais le remplacer pour une présentation devant le DG d'une grosse foncière immobilière. J'avais 22 ans et très envie de plaire à ma hiérarchie : j'ai tout de suite dit oui, malgré mon cœur qui battait la chamade. Il m'a alors félicité de ne pas avoir peur.
Cette injonction à être "confort dans l'inconfort" est omniprésente dans nos sociétés. De fait, c'est une stratégie qui semble payer dans un monde qui change de plus en plus vite, notamment dans le monde de l'entrepreneuriat où je travaillais. Le professeur de stratégie et d’entrepreneuriat à Londres Vaughn Tan parle d'état d'esprit d'incertitude", cf son interview par Laetitia Vitaud.  ​​

Ce qui me dérange profondément dans cette injonction c'est l'idée qu'on pourrait simplement décider d'être courageux, flexibles et créatifs.
Pourquoi certains semblent s'épanouir dans le chaos et l'inconfort quand d'autres butent et se replient sur eux-même ?

Jusqu'alors la recherche s'est surtout concentrée sur les effets du stress sur la cognition - créativité, prise de décision, attention - et les réseaux neuronaux impliqués - réseau de l'attention extérieure et fonctions cognitives supérieures.

Modupe Akinola est l'une des premières à intégrer la physiologie à ses recherches pour expliquer la variabilité des réactions cognitives au stress.

Dans le podcast 1% happier, Modupe Akinola explique que le stress n'est pas nécessairement mauvais : "Si on fait face à l'incertitude et qu'on manque de ressources - connaissances, personnes, capacités physiques ou intellectuelles - pour y faire face on va inévitablement ressentir du stress et se raconter qu'on ne peut pas y arriver. Mais ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Parce que nos corps sont construits pour nous apporter ces ressources."

D'après Modupe, la physiologie apporterait un modèle explicatif et prédictif à la variabilité de réponses cognitives au stress.

Bon et mauvais stress : deux systèmes physiologiques distincts


Face à diverses situations réelles de stress - deadlines de rendus, prise de paroles en public, entretiens annuels - on observe une variabilité importante des réactions - repli sur soi, anxiété ou au contraire motivation, confiance en soi et attention décuplée.
Derrière cette diversité de réactions au stress, on distingue deux systèmes physiologiques.

1/ Le système médullaire sympatho-adrénal ou système du Challenge

Neuro- Hormones - Adrénaline, neuro-adrénaline, retour rapide à l'homéostatis, le point d'équilibre hormonal, pic de taux de cortisol

Indicateurs physiologiques - Rythme cardiaque accéléré, débit cardiaque augmenté, résistance périphérique diminuée

Zones cérébrales impliquées - Hypothalamus, glandes adrénales, et système limbique

États cognitifs associés - confiance en soi, fierté, ouverture
Activation de l'attention extérieure


2/ Le système de l'axe hypothalamo-hypophysaire ou système de la menace

Neuro- Hormones - Taux de cortisol élevé sur le long terme

Indicateurs physiologiques - Rythme cardiaque accéléré, débit cardiaque augmenté, résistance périphérique accrue 

Zones cérébrales impliquées - hypophyse ou glande pituitaire et hypothalamus
États cognitifs associés - anxiété, honte, évitement, repli sur soi

Dans la réalité, ce n'est pas exactement l'un ou l'autre. En cas de situation stressante, on mobilise souvent le système MSA dans le court terme et le système AHH sur le long terme. 


Le stress : une histoire de perception

Est-ce qu'on décide consciemment quel système mobiliser en situation de stress ?
Selon le modèle biopsychosocial du stress développé par Blascovich - modèle BPS - la mobilisation de l'un ou l'autre système dépend de la catégorisation de la situation stressante comme une menace ou un défi.

Cette perception du stress serait influencée par les ressources mentales développées lors de précédentes expériences stressantes - connaissances, support social, estime de soi.
En d'autres termes : plus on a eu recours au système MSA - défi - par le passé, plus il est facile d'y accéder.

L'évaluation de la situation stressante, comme menace ou défi, aurait lieu avant même qu'on en ait conscience. A partir de cette perception, notre cerveau crée des histoires cohérentes à la vitesse de la lumière. "Je suis capable de le faire", "Je suis super fort pour présenter des slides", ou "Je mérite cette augmentation". Le cerveau réévalue la situation à partir de cette première évaluation et de ses expériences.
C'est la répétition d'expériences de confrontation au stress qui nous aide à développer cette confiance nécessaire pour nous jeter dans l'arène. 


L'optimisme : une fonction biologique

De la même manière, l'optimisme serait une fonction biologique et non une stratégie consciente.

Dans le podcast "comprendre la variabilité des décisions humaines en situation d'incertitude", Valentin Wyart cherche des explications aux divergences entre des sujets optimistes et réalistes.
En passant leurs cerveaux au scanner, il a observé que les sujets optimistes étaient plus sensibles aux bonnes nouvelles. La région du striatum central, impliqué dans la récompense, est plus active chez les sujets optimistes quand on leur annonce une bonne nouvelle. 

Notre réaction au stress est largement conditionnée par la réponse du système nerveux, elle-même fonction de notre génétique et de nos expériences passées.

A quoi ça sert de savoir qu'on est conditionné ?

Admettre qu'on y peut pas grand-chose si on se sent stressé, accepter le stress comme une réaction normale et saine de notre organisme, et se concentrer sur les bons indicateurs pour évoluer.

Changer sa réaction physiologique au stress

Les systèmes MSA et AHH présentent deux signatures physiologiques distinctes et différents cocktails de neuro-hormones.
En jouant sur ces indicateurs physiologiques, serait-il possible de changer notre réaction cognitive au stress ?

Pratique traditionnelle de l'Ashtanga Yoga à Mysore. Dans cette pratique on alterne entre des postures intensives et restauratives, entre l'inspiration et l'expiration, entre la stimulation cardiaque et la détente nerveuse à travers l'action du nerf vague, qui relie le coeur au cerveau.

Dans cette étude, une équipe de chercheurs compare les effets du Yoga à la pratique du Tai Chi. Mieux que sa consoeur chinoise, la pratique posturale indienne augmente la variabilité du rythme cardiaque et rééduque la perception du stress.

Reste à investiguer les effets de pratiques spécifiques - Ashtanga, Iyengar, Kundalini pour n'en citer que quelques - uns - sur les indicateurs physiologiques spécifiques au système SAM : débit cardiaque, résistance périphérique, taux de cortisol dans la salive.
On peut aussi se demander si la réaction au stress physique et mécanique de la pratique - équilibre sur les mains, postures proches du contorsionnisme, inversions sur la tête - impactent notre réaction au stress en situation réelle - examens, entretien d'embauche, évaluations de fin d'année.
Par exemple que le stress lié au jugement d'autrui est plus fort que le stress induit par l'activité ou la douleur physique. Les situations les plus stressantes sont celles où on associe différentes formes de stress - stress physique, jugement social, etc - comme dans la réalité.

Transformer sa perception du stress

D'une personne à l'autre, une même situation peut être vécue comme très stressante ou pas du tout. 

"Il y a un jeu entre des mécanismes physiologiques de base et de l'autre des mécanismes psychologiques extrêmement complexes qui vont interagir" explique le
Si la souris et l'humain partagent les mêmes chaînes de réactions physiologiques au stress - sécrétion de cortisol, activation du système nerveux autonome, - les souris ne sont pas stressées par la feuille blanche d'examen, contrairement aux humains. 

A travers nos expériences passées, on a déjà catégorisé une bonne partie des déclencheurs de stress qu'on peut rencontrer dans une vie humaine.
Grâce à la pratique de la méditation, on peut développer une métacognition de ces déclencheurs. La métacognition est la capacité du cerveau à observer sa propre activité mentale.

Lorsqu'on est conscient de ces déclencheurs, on peut décider d'agir ou de ne pas réagir. 

Dans la pratique du Yoga Restauratif, on pratique cet état d'observation dans des postures dites restauratives, où le système nerveux autonome est apaisé. 

On apprend à vivre ces situations de stress et à les observer sans réagir ou se prostrer.

Le Dr en psychologie Gail Parker utilise cette méthode pour aider des personnes victimes de stress post-traumatiques liés aux discrimination raciale.


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Le Yoga : l’école de l’attention