Le Yoga : l’école de l’attention

En sanskrit, Shamatha signifie cultiver l'attention. Pour les Yogis, développer l'attention est un pré-requis à l'exploration de sa conscience. La pratique de Shamatha permet de stabiliser son esprit. Elle permet aussi d'ouvrir son regard sur le monde. En entraînant différents modes d'attention, on réalise à quel point notre perception des choses est limitée.

Make it stand out

Fixez sans bouger le centre de cette image pendant plusieurs secondes. Vous verrez alors les couleurs tout à coup s'effacer et l'image devenir entièrement grise. C'est l'effet Troxler.Si on se laisse porter par son attention, notre cerveau nous maintient dans l'illusion d'une vision fixe et étriquée du monde - article Sciences et Vie. Il choisit notre objet d'attention par défaut et élude les autres informations, jugées indignes de son attention.


Dans cet article je vous parle de la puissance libératrice de l'attention : l'histoire de Bouddha qui relâche son attention, pourquoi l'attention est le fondement du bonheur, et le Yoga, l'école des attentions par excellence.

L'histoire vraie de Bouddha

En Occident, on réduit souvent l'attention à la concentration. De la même manière, on pense souvent que la méditation se cantonne à observer sa respiration.

Bouddha était un prince qui a vécu au 4ème siècle avant J.C et qui répondait au nom de Siddharta.
Pour épargner à son fils les misères du monde, le père de Siddharta l'enferme dans son palais entouré de jeunes courtisans qui ont pour ordre de tout le temps sourire.  Après 25 ans de vie de château, Siddharta s'échappe de sa prison dorée pour découvrir le monde réel. Au cours de son périple, il rencontre la souffrance, la vieillesse, la maladie et la mort. Il réalise surtout leur caractère inévitable. Quoi qu'il fasse, lui et ses proches sont condamnés à l'extinction.
Il se met alors en quête d'une voie de libération. A l'époque où Siddhartha est né, l'Inde compte déjà de nombreux Yogi qui pratiquent l'ascétisme - jeûne, abstention sexuelle, focalisation de l'attention - pour atteindre le Samadhi, un état de concentration absolue où l'activité mentale cesse complètement. Pendant 7 ans, Siddharta suit leurs enseignements, s'astreint à des jeûnes stricts, passe des heures à méditer en tailleur. Jusqu'à lâcher l'affaire. Au grand damn des yogis, il accepte un bol de riz que lui apporte une paysanne. Il s'allonge sous un arbre et se contente d'observer son activité mentale, sans chercher à la contrôler.

C'est à ce moment qu'il accède au Nirvana. 

La tradition bouddhiste préconise le développement de la concentration, pour stabiliser l'attention. C'est une fondation nécessaire à l'exploration de sa conscience. Mais la libération mentale va au-delà de cet état de tranquillité.
Pour les bouddhistes, la vraie libération survient quand on est capable de relâcher l'attention et qu'on devient observateur de sa propre activité mentaleOn est alors capables d'identifier les mécanismes de sa conscience, et on gagne petit à petit en lucidité sur son propre fonctionnement.

Buddha, en pleine conscience sous son arbre

L'attention : la clé du bonheur ?

On pourrait comparer l'attention à un tango entre l'amygdale et le cortex préfrontal.  Si on se laisse guider par son amygdale, notre attention se porte instinctivement sur les éléments considérés dangereux par nos cerveaux. 

Même si nos conditions de vie ont évolué, notre patrimoine biologique a lui, peu changé. Nous sommes programmés pour survivre. Nos cerveaux sont des machines à percevoir et prédire les potentiels dangers qui nous entourent. Ces mécanismes biologiques étaient très utiles du temps de l'homme cro-magnon. Ils sont moins indispensables dans une vie de bureau. Et pourtant un supérieur agressif enclenche les mêmes défenses neuronales qu'un prédateur dans la savane. En se focalisant constamment sur les problèmes, il devient de plus en plus difficile de s'extirper de ses boucles de pensées négatives qui peuvent aller jusqu'à des états anxieux ou dépressifs.

Ces mécanismes de survie sont aussi à l'origine du processus d'habituation : le cerveau focalise notre attention sur les éléments nouveaux et oublie ceux qui font déjà partie du décor et qu'il a étiqueté comme "sûrs". Ce processus explique pourquoi on a tendance à se lasser de son travail, de son environnement, voire des proches qui nous sont chers.

Ca pourrait être désespérant, Sauf qu'en tant qu'être humain, on a aussi la possibilité de réguler voire d'éliminer ces instincts de survie primaires. Comment ? en entraînant régulièrement son attention.

En dirigeant régulièrement son attention vers un objet de concentration - la respiration, une image, un mantra - on renforce le cortex préfrontal qui peut reprendre le contrôle de l'amygdale et diminuer la réaction émotionnelle aux pensées négatives. Au début, rediriger son attention demande beaucoup d'efforts. Et puis, petit à petit, comme Bouddha, on peut développer un état d'attention relâchée. 


En situation de stress chronique, nos pensées sont dirigées par l'amygdale


Après 3 mois de pratique de Shamatha, le cortex peut ponctuellement diminuer la réactivité de l'amygdale



Chez les pratiquants avancés (+5000 heures de méditation), les connexions neuronales sont renforcées. Le CPF supervise naturellement les réactions émotionnelles



A chaque attention sa pratique


En échangeant avec les bouddhistes, les neuroscientifiques ont pris conscience de la richesse de la terminologie tibétaine pour décrire l'attention.
Alors qu’on a longtemps réduit l’attention à notre capacité de concentration, on prend aujourd'hui la mesure du spectre d'attentions. En enregistrant les signaux électriques émis par les cerveaux des méditants, les neuroscientifiques ont même identifié au moins quatre signatures neuronales distinctes liées à l'attention.

  1. l'attention sélective - choisir là oú on porte son attention

  2. la vigilance - maintenir son attention stable dans le temps

  3. l'allocation d'attention - remarquer les changements petits et rapides dans son expérience

  4. l'attention sur un but - garder un but spécifique en tête malgré les distractions

  5. la pleine conscience - être conscient d'être conscient et remarquer quand on se laisse distraire

William James était l'un des premiers professeurs de psychologie d'Harvard à s'intéresser à la conscience et à intuiter l'existence de différents états de conscience. En 1890 il écrivait dans ses Principes de Psychologie "La faculté de recentrer une attention distraite, encore et encore, est le fondement de la volonté et de la force du caractère. Une éducation qui améliorerait cette capacité serait l'éducation par excellence".

Et c'est précisément ce que nous offre le Yoga : un panel de techniques pour entraîner différents modes de conscience ou d'attention. Pour n'en citer que quelques unes :

  1. Trataka - observer une flamme de bougie et garder son attention sur la flamme

  2. l'Ashtanga Vinyasa Yoga - réaliser une séquence de 41 postures difficiles en maintenant une attention équanime tout au long de la série

  3. le Yoga Iyengar - observer les mouvements de la respiration tout en plaçant son attention dans une partie du corps

  4. la Philosophie du Yoga - renforcer la volonté de se libérer mentalement de ses fluctuations mentales et maintenir une pratique au quotidien

  5. Vijnana - observer son expérience mentale sans se laisser happer par ses pensées

De par nos expériences personnelles et professionnelles, on a tendance à développer un mode d'attention plus que les autres. Les artistes ou les chercheurs ont souvent une capacité d'absorption extraordinaire, tandis que les commerciaux sont capables de jongler mentalement avec plein de données extérieures.  La pratique du Yoga nous permet de renforcer nos modes d'attention naturels mais aussi et surtout d'étendre notre champ de conscience en développant de nouveaux modes d'attention.



La question restant…comment on associe cela à une vie parisienne : la réponse ici en vidéo (extrait de mon premier cours de Jnana Yoga, le Yoga de la connaissance).

Précédent
Précédent

La neuroplasticité en pratique

Suivant
Suivant

Réaction au stress : déterminisme physiologique ?