La neuroplasticité en pratique



La merveilleuse histoire d'Henry Sugar

Quand je veux expliquer comment fonctionne le Yoga aux plus réticents, je raconte souvent cette histoire. 

Henry Sugar est un personnage de Roald Dahl inspiré de sa rencontre avec le yogi pakistanais Kuda Bux au début du XXème siècle. A l'époque, le yoga était en perte de vitesse en Inde, uniquement pratiqué par quelques ermites reclus dans les montagnes des Himalayas. La pratique de Yoga était jugée occulte par les colons britanniques et délaissée par les élites locales.
Kuda est né dans une famille pauvre pakistanaise. Il affirmait pouvoir lire les yeux bandés grâce à la méditation. 

Dans sa nouvelle La merveilleuse histoire d'Henry Sugar, Roald Dahl s'inspire de l'histoire vraie de Kuda Bux pour créer le personnage d'Imhrat Khan.
Henry Sugar est un jeune homme mondain égocentré et désoeuvré. Il tombe par hasard sur un livre relatant les exploits du yogi Imhrat Khan qui peut voir les yeux bandés.
Au début de l'histoire, Henry passe le plus clair de son temps à jouer au casino avec ses amis. Il s'ennuie infiniment. Un peu pour duper ses amis, beaucoup pour tuer le temps, il décide d'essayer la méditation pour lire à travers les cartes. Il suit scrupuleusement le protocole décrit dans le livre : tous les jours il s'assoit 8 minutes face à une bougie et essaye de se concentrer sur la flamme, sans penser à rien d'autre.

Au début Henry peine à se concentrer plus de 2 secondes. Jour après jour, il gagne quelques secondes d'attention. Surtout il commence à observer des changements inattendus dans son comportement. Il se regarde moins dans le miroir, il n'a plus tellement envie de dépenser des sommes astronomiques, il commence à s'intéresser aux autres…
Je ne vous dévoile pas la fin au cas où vous auriez envie de lire la nouvelle

L'histoire d'Henry a beau être une fiction, elle décrit merveilleusement bien la pratique et les effets du Yoga. La technique de la bougie s'appelle Trataka : c'est une méditation simple où on se concentre sur un objet sans penser à rien d'autre. 

En répétant Trataka tous les jours, Henry développe des aptitudes mentales et physiques. Il développe aussi indirectement des qualités humaines dont il ne soupçonnait pas l'existence. 

La pratique du Yoga éclairée par la neuroplasticité

Ce qu'en disent les yogis

En sanskrit, Sadhana signifie pratique. Sadhana désigne un ensemble de rituels physiques et mentaux qu'on répète quotidiennement pour se libérer de ses pensées négatives.
Selon les écoles yogis, ces pratiques peuvent varier : séquences de postures pour les Ashtangi, lectures de textes philosophiques pour les Jnana yogi, chants de mantras pour les Kundalini…
Toutes préconisent la mise en place d'une discipline personnelle pour rester positif.
Quelque soit celle qu'on choisit, il faut s'y tenir. Dans les Yoga Sutras, la bible des yogis, Patanjali parle d'une pratique stable, continue et pour une longue période de temps.

Une inversion par jour conserve son amour


A la différence d'une psychanalyse où on essaye de comprendre l'origine de ses pensées, la pratique du Yoga agit indirectement sur nos problèmes. Il suffit de se mettre la tête à l'envers pour en faire l'expérience.
Après Sirsasana, l'inversion sur la tête, on se sent énergique et lucide. Tous nos nœuds au cerveau semblent se dénouer naturellement. Plus on répète souvent ces postures, plus cet état semble imprégner le reste de notre journée.

Ce qu'en disent les neuroscientifiques

On a récemment pris conscience de la puissance de la neuroplasticité.
Le cerveau réorganise en permanence sa cartographie neuronale, même à l'âge adulte. A chaque fois qu'on émet une pensée, à chaque fois qu'on se remémore un souvenir, à chaque fois qu'on fait quelque chose, on crée ou on renforce des connexions neuronales entre des millions de neurones.

Si on reste en auto-pilote, le cerveau privilégie souvent les chemins connus pour maximiser nos chances de survie. Il préfère aussi anticiper les dangers en empruntant les réseaux neuronaux de la peur et de l'agressivité.
La pratique du Yoga est un outil pour tracer de nouvelles routes neuronales et renforcer les connexions des réseaux des émotions positives, le partage, l'amour, la compassion, à contre-courant de la tendance naturelle du cerveau. 

Une des premières illustrations des cellules nerveuses

En essayant des nouvelles postures avec son corps, en ralentissant volontairement notre respiration,en se répétant que tout va bien avec les mantras, on rééduque notre cerveau à percevoir le positif autour de nous.
En répétant cette pratique, encore et encore, on renforce ces connexions jusqu'à ce que ces chemins neuronaux deviennent la voie royale.

Il y a aussi un effet papillon dans la neuroplasticité. Nos réseaux neuronaux sont interdépendants. En observant les cerveaux de musiciens, des neuroscientifiques ont constaté que la zone liée à la motricité des doigts était plus dense et connectée. Plus surprenant, leurs neurones sont aussi mieux connectés dans les réseaux associés à la mémoire et la résolution de problèmes complexes. En jouant régulièrement d'un instrument, c'est toute la structure du cerveau qui se réorganise.
Qu'on s'entraîne régulièrement au piano ou aux postures de yoga, cette pratique agirait indirectement sur l'ensemble de notre cerveau.

Du tapis à la vraie vie

Les professeurs de yoga encouragent souvent leurs élèves à transposer les leçons apprises sur le tapis à la vie "réelle" : réagir calmement dans un contexte stressant au bureau, trouver la force de prospecter en freelance, commencer une nouvelle discipline artistique…

Mais devient-on vraiment plus courageux juste en se tenant debout sur la tête ?

Une pratique intentionnelle

Dans cette vidéo une jeune tibétaine questionne le Dalaï Lama sur la signification de Om mani Padme hum, un mantra qu'on lui fait souvent réciter sans jamais lui avoir expliqué.
Il lui répond "La Prière juste en répétant les sons n'a pas vraiment d'intérêt. (...) Avec la compréhension du système de transformation de notre esprit et une motivation sincère, alors la récitation de mantras devient utile". Sans conscience de pourquoi on chante, la répétition de mantras est mécanique. 

Ce qui distingue le yoga de la gymnastique c'est l'intention qu'on place dans sa pratique.
On commence souvent pour une raison particulière :  reprendre confiance en soi, mieux gérer le stress, ou gagner au casino comme Henry (Sugar). 

Petit à petit, on évolue tous vers un même but : découvrir son fonctionnement mental et s'en libérer.

Une pratique délibérée

Dans la tradition bouddhiste, pour chaque émotion négative il existe une ou plusieurs pratiques dédiées. Richard Davidson, mon neuroscientifique préféré, a proposé à deux groupes de volontaires de suivre une formation de méditation compassion ou une formation de requalification des émotions négatives dans son labo. Deux semaines plus tard, il a scanné leur cerveau en leur projetant des images d'humains en souffrance. Leurs signatures cérébrales étaient clairement distinctes. 

Richard ne s'est pas arrêté à l'observation de leur cerveau : les volontaires ont participé à un jeu où un "dictateur" volait une victime de 10 dollars. Les volontaires avaient la possibilité de dédommager la victime avec leur propre argent. Ceux qui avaient reçu la formation de compassion donnaient deux fois plus que l'autre groupe formé à la méditation de réévaluation de leurs émotions.

Quand on commence le yoga, c'est important de savoir pourquoi afin de choisir la bonne pratique en fonction de ses besoins. Si on veut développer sa rigueur, on ira plutôt vers du Yoga Iyengar. Si on veut au contraire se rapprocher de son intuition, le Kundalini sera plus adapté.

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