Un nouveau souffle au commissariat

La semaine dernière j'ai enseigné le Yoga au commissariat de Béthune, dans le cadre de la quinzaine du Bien-être. C'était une première pour le commissariat, "un moment historique" comme me l'ont souligné certains.
Pendant trois jours, j'ai vu défiler une cinquantaine de policiers, du commissaire à la police de secours en passant par les administratives et la Brigade anti criminalité, la "BAC".
Pour l'occasion, l'ancienne maison du commissaire - à l'époque où ce dernier était encore logé dans l'enceinte du commissariat - a été réhabilitée en studio de Yoga.

Cette photo n’a pas été prise à Béthune mais en Californie par Robert Sturman.

La commissaire adjointe m'avait prévenu : "Ils sont différents de tes élèves parisiens".
Pour me préparer, j'ai regardé Les Misérables sur Canal + à la demande. J'avais été voir Bac Nord au ciné mais je cherchais une vision plus réaliste de la police, moins américaine.
A la fin du film, j'étais blême : je me voyais mal enseigner la compassion tibétaine à des Chris - un des personnages principaux du film - sans foi ni loi, enragés par des années de violence réciproque dans les banlieues.
La réalité du commissariat de Béthune est un peu différente : dans le Nord Pas de Calais, les policiers sont accablés par les violences conjugales et les violences sur mineurs, sur fond d'alcoolisme et de misère sociale. Ici les héros sont les enquêteurs qui affrontent la pile de dossiers qui s'accumulent et subissent la pression ministérielle du pas le droit à l'erreur. Les héroïnes c'est l'assistante sociale qui jongle entre sa pile de dossiers et les mineurs qui squattent son bureau, en attendant d'être réceptionnés par la Caf.
C'est aussi la commissaire adjointe qui ne'gocie un budget "prévention suicide" à la hiérarchie pour organiser des journées bien-être et insuffler du sens à ses équipes.

Comment fait-on pour rester motivé quand on se rêve gardien de la paix et qu'on passe plus de temps à gérer la lourdeur administrative que sur le terrain ? Comment fait-on pour rester disponible et alerte quand les dossiers s'empilent et qu'on risque l'erreur judiciaire ?
Dans la fonction publique on ne choisit ni son cadre de travail, ni ses horaires, et encore moins sa hiérarchie. Dans la police, difficile aussi d'avoir une vision long terme sur ses objectifs, y compris au plus haut grade de commissaire, largement tributaire du ministère et de ses jeux politiques.

Alors qu'est-ce qu'il leur reste comme liberté ? Celle d'aller courir ou faire du sport entre midi et deux, ou de pratiquer le Yoga en rentrant chez eux.
C'est ce que je leur ai appris pendant trois jours : intégrer des pauses physiologiques à leurs journées, pour faire face à leurs enjeux complexes sans imploser.

Je leur ai transmis des techniques simples pour gérer leur santé mentale au quotidien: quinze minutes de respiration alternée pour retrouver calme et lucidité entre deux réunions, trente minutes de postures restauratives pour se vider la tête en fin de journée, dix minutes d'observation mentale pour prendre du recul sur ses dossiers.
Et comme le Yoga est aussi un espace de jeu et de liberté, on s'est mis la tête à l'envers avec des postures d'inversions. J'ai même fait faire quelques chaturanga, les pompes des Yogis, au Baceux quelque peu réticents à essayer "ce sport de parisienne”.

En plus des ateliers Yoga, les policiers ont participé à des sessions "Gestion des émotions" avec Bastien, policier et formateur TOP - technique d'optimisation du potentiel - auxquelles j'ai eu la chance de participer. Entre deux exercices de respiration, Bastien nous a guidés dans une technique de visualisation de pensées positives. J'étais surprise par la réceptivité des policiers et leur facilité à livrer leurs émotions. Comme me l'a expliqué l'un d'entre eux, "je préfère les collègues qui craquent et qui pleurent que ceux qui gardent tout pour eux. C'est eux qui me font peur".

A la fin de la quinzaine, nous étions conviés à partager un fricadelle frites avec les 200 fonctionnaires dans le garage attenant aux bureaux, le commissariat ne disposant pas de cantine. 
La commissaire adjointe à l'initiative de cette quinzaine a préparé un discours du clotûre. Elle note la joie des policiers dans les couloirs du commissariat cette semaine, avec ce mot pour la fin "on travaille mieux en collectif quand on est apaisé individuellement".


Et moi je suis comblée : j'ai pu partager un peu d'énergie vitale avec nos gardiens de la paix.

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