Faut-il rationaliser le Yoga ?

C’est la question que je me pose depuis que j’ai découvert cette philosophie pratique et ces effets psychologiques.

Des heures passées à fouiller PubMed, des longues discussions avec mes professeurs, de nombreux échanges avec les pratiquants rencontrés sur le chemin du Yoga.
Tous les ans, je rends visite à ma professeure d'Ashtanga Claire Saunders dans le Sud de la France. L'été dernier j'en ai profité pour recueillir quelques données auprès des participants au stage : la plupart ayant une pratique régulière et avancée de l’Ashtanga, j'essayais d'évaluer leur niveau de stress par rapport aux débutants. La plupart se sont prêtés au jeu mais pas sans une pointe d'agacement.
Quand Camille Allene présente des publications scientifiques qui contredisent les croyances des élèves, souvent ils tiquent.
Pour beaucoup de pratiquants, le Yoga est une zone de magie. Rationaliser leur expérience n'est pas toujours plaisant.

Rationaliser le Yoga pourrait signifier deux choses : apporter une explication logique à la pratique et évaluer l'efficacité des pratiques.

A l'école Sadhana nous pensons que les deux sont dans l'intérêt de nos élèves.

Vivekananda coiffé de son turban au Parlement mondial des religions à Chicago en 1893,
défendait déjà un Yoga rationnel, scientifique et moderne.

De Patanjali aux Neurosciences : la logique de l’esprit

Une explication rationnelle n'est pas forcément scientifique. La philosophie dispose aussi d'outils de pensée et de règles logiques pour nous aider à raisonner.
A ceux qui voudraient protéger un Yoga magique, on pourrait rétorquer que la philosophie de Patanjali n'a rien de mystique (ou presque). Souvent citée comme la "Bible du Yoga", les Sutras de Patanjali sont devenus le texte de référence à l'ère du Yoga Moderne.
A la fin du XIXème siècle, le yoga connaît un renouveau en Inde grâce au travail de Swami Vivekananda. Vivekananda rejette en bloc le pouvoir des miracles des yogis et défend une spiritualité rationnelle. Il s'inspire notamment des Yoga-Sutra de Patanjali en omettant la dimension dualiste du texte.
Au début du XXème siècle, le Professeur Krishnamacharya sacralise les Yoga-Sutras de Patanjali, ensuite relayés par ses élèves stars : Pattabhi Jois et B.K.S. Iyengar.
Dans ces 184 aphorismes, Patanjali décrit le fonctionnement de l'esprit avec beaucoup de minutie. Son constat est sans appel : si on se laisse aller à notre état naturel, on n'est pas vraiment heureux.
Il nous apporte aussi un système de vie, une philosophie, pour y remédier. Dans le deuxième chapitre dédié à la Sadhana (la pratique), il préconise trois principes de vie : Tapas ou l'effort, Svadhyaya ou l'étude de soi et Ishwar Pranidhana la foi. Il recommande aussi de suivre le processus de l'Ashtanga Yoga qui désigne les huit étapes pour atteindre la libération, parmi lesquelles les Asanas - postures - ou les Pranayamas - la respiration - mais aussi les Yamas - l'éthique de vie, souvent méconnue des pratiquants.
Des modèles de pensée peuvent être logiques et faux si les hypothèses sous-jacentes sont erronées. C'est le cas par exemple de la psychanalyse freudienne qui part du principe (faux) que l'hystérie féminine est le symptôme d'une frustration sexuelle.

Dans le cas des Sutras du Yoga, la phénoménologie de l'esprit décrite par Patanjali rejoint souvent (mais pas toujours) les découvertes récentes de la Neurosciences sur la conscience : les Kleshas évoquent les biais cognitifs, les Samskaras le conditionnement ou la mémoire associative, Manas, Buddhi, et Ahamkara- les dynamiques de la conscience ne sont pas sans rappeler l’activité des principaux réseaux neuronaux - Saillance, Contrôle exécutif, Mode par défaut.
Même Ishwar Pranidhana le principe de Foi préconisé par Patanjali est rationnel quand on le comprend comme l'abandon au Soi. On sait aujourd'hui qu'une grande partie de nos processus mentaux sont inconscients et involontaires et qu'il serait vain de vouloir les contrôler. Pour reprendre les termes de mon amie Camille Teste "Vous n'êtes pas plus fort que votre cerveau".
Est-ce utile de comprendre tout ça ?
La plupart des pratiquants ignorent tout de la philosophie du Yoga. Ceux qui ont voulu se former à l'enseignement ont souvent une connaissance partielle des Sutras de Patanjali et les mettent rarement en application. On peut parfaitement faire du Yoga sans vouloir étudier les Sutras et en tirer déjà beaucoup de confort : bien-être, souplesse, force…

Mais en se privant de l'essence du Yoga, on passe à côté du plus important : la connaissance de soi.

A l'école Sadhana on enseigne le fonctionnement de la conscience, à travers la philosophie et les neurosciences. On a notamment créé un atelier "Votre cerveau et le Yoga" qui présente le fonctionnement du cerveau, les bases neurologiques du Soi, et les principales hypothèses sur le fonctionnement psychologique du Yoga.

Nous animons le prochain atelier “Votre cerveau et le Yoga” le samedi 4 février à 14h à Paris chez Jivamukti Yoga
(92 Quai de Jemmapes, 75010 Paris).

Pendant deux heures vous assemblerez les structures et les fonctions du cerveau.
Vous découvrirez aussi les effets du Yoga sur le système nerveux et le cerveau.
Nous vous présenterons les dernières recherches sur le Yoga et le cerveau, notamment le Yoga et le trauma.

Avec Camille Allene, Dr en Neurosciences et Charlotte Multon, fondatrice de Sadhana.

Atelier de 2h30, 40 euros.

Le Yoga est-il efficace ?

On peut tout à fait pratiquer pour le plaisir, sans rechercher l'efficacité.
Mais si on parle de santé mentale, il paraît primordial de se poser la question.

Au début du XXème siècle, on s'intéresse déjà aux effets thérapeutiques du Yoga.
"En 1921 Swami a recours à tout l'attirail de la science médicale moderne - éléctrocadiogramme, appareil de radiographie, sphygmomètre, spectroscope…- pour mesurer avec son équipe de l'Institut Kaivalyadhama, les effets physiologiques d'asana, de pranayama, de kriya et de bandha." extrait de Yoga l’art de la transformation, 2500 ans d’histoire du Yoga

Pourtant un siècle plus tard, on est pas tellement plus avancés.
La méditation a fait l'objet de beaucoup de publications scientifiques, notamment sous l'impulsion du biologiste Matthieu Ricard et du neuropsychologue Richard Davidson.
(Je vous recommande d'ailleurs son livre Altered Traits qui présente leurs recherches ponctué de récits en Inde et de leur rencontre avec le Dalaï Lama.)
En revanche, le Yoga postural et les Pranayamas ont été boudés par les scientifiques.
Peut-être pour les mêmes raisons que les neuroscientifiques ont d'abord porté leur attention sur les fonctions supérieures du cerveau et ont longtemps laissé de côté l'influence du corps sur la cognition. (cf podcast Viscéralement conscient)

On trouve quand même de plus en plus d'études rigoureuses et mêmes quelques méta-analyses intéressantes : les effets du Yoga sur le stress semblent avérés, de même que ses bénéfices sur les troubles du comportement alimentaire, la dépression ou l'anxiété, en complément de thérapies balisées (références). En France C.Allene étudie les effets de la Yoga thérapie en complément de l'EMDR dans le traitement du stress post traumatique à l'hôpital de Ville Evrard. Alexia Michel lance un projet de recherche sur les troubles alimentaires à l’hôpital Saint-Vincent de Paul à Lille (2023-2025).
Et ce n'est que le début.
Depuis trois ans, Jonathan Rosenthal neurologue à l'hôpital de à New York City organise la conférence Yoga & Neurosciences qui réunit tous les chercheurs qui travaillent sur ces questions à travers le monde. Cette année la conférence porte sur les effets du Yoga sur l'empathie, la maladie de Parkinson et le trauma. Camille Allene présentera à cette occasion les derniers résultats de ses recherches à l'hôpital.
Je présenterai aussi le projet de l'école Sadhana, qui associe pratique et psycho-éducation.

La conférence aura lieu en ligne du jeudi 16 au dimanche 19 mars. Les inscriptions ouvrent la semaine prochaine. En attendant vous pouvez suivre la page instagram et vous inscrire ici pour recevoir toutes les informations sur la conférence.

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