Parole aux pratiquant.es - Nadia

Nadia a participé à notre dernière Semaine d'approfondissement (juillet 2023). Elle est directrice de distribution au sein d’un gros label américain.

Bonjour Nadia, est-ce que tu peux nous expliquer ton parcours ?

“Après des études de médiation culturelle, j'ai travaillé au sein de plusieurs maison de disques avant de rejoindre un grand label de musique américain en tant que directrice de la distribution. Mon travail est de gérer la commercialisation des projets artistiques auprès des plateformes comme Spotify mais aussi dans des espaces physiques comme la Fnac. Mon équipe (je manage 7 personnes) accompagne notamment des artistes du Rap. En tant que personne racisée issue de la deuxième génération d'immigrés, pour moi c'était un rêve de permettre à des jeunes rappeurs des quartiers de s'élever socialement. J'ai vite déchanté. Après deux ans de travail acharné pour ce label, j'ai décidé de partir cet été.”

Qu'est ce qui est stressant dans ton métier ?


”Mon travail est très intense : beaucoup de projets et d'interlocuteurs différents, des objectifs financiers difficiles à atteindre, une équipe à gérer, sans parler des égos parfois sur-dimensionnés des artistes. Mais c'est mon métier, je gère !
Ce qui m'a épuisé mentalement c'est le manque de sens au quotidien. L'entreprise pour laquelle je travaille est très politique. Les salariés sont plus intéressés à leur ambition personnelle qu'à la réussite des projets des artistes et malheureusement les deux sont rarement alignés. On m'a souvent demandé de me taire face à l'inefficacité des process en interne, pour ne pas vexer mes supérieurs. Un collègue m'a carrément donné un coup de pied sous la table quand j'osais défier le DG en réunion interne. Pour apaiser mon équipe, j'évoquais souvent les 12 travaux d'Astérix : après avoir réalisé des prouesses physiques et traversé des épreuves inédites, Astérix se heurte au pire défi : les rouages de l'administration. Ca finit par le rendre complètement zinzin. La santé mentale des salariés n'est pas que leur responsabilité individuelle. C'est avant tout une question d'organisation saine de l'entreprise.”

Comment tu as géré ce stress ?

”Il y a quelques années j'ai découvert le monde du bien-être. Ca a été la bouée de secours qui m'a permis de supporter ces deux années de travail déshumanisant. Le bien être m'a aussi aidé à prendre soin de mon équipe et à les protéger des politiques individualistes de ma hiérarchie. Cet investissement dans ma santé mentale et celle de mes équipes a eu un coût important que j'ai entièrement pris en charge: une formation en sophrologie (7000 euros), 2 à 3 stages de yoga par an (800 euros le stage en moyenne), et de nombreuses heures chez le Kiné et l'osthéo pour gérer les douleurs physiques qui accompagnement la douleur psychique. La seule fois où ma hiérarchie m'a payé un coaching, c'était pour que j'aborde une démarche plus politique face à mes supérieurs. Autrement dit que je me taise. C'est là où j'ai compris que j'étais avant tout leur caution féminine et racisée, un pantin au service d'une industrie pourrie.”

Et maintenant ?

”J'ai négocié un licenciement pour désaccord. Je suis un peu dégoûtée par l'univers de la musique. Sans parler des rouages politiques internes, l'industrie objectifie les artistes et les propulse dans des positions sociales et financières qu'ils ne sont souvent pas capables d'assumer. Le succès transforme beaucoup d'artistes, souvent fragiles au départ, en monstres égotiques avec une bonne dose de drame : trafic de drogue et menaces ne sont pas rares. Mon rêve serait d'offrir un espace de création et de distribution pour les artistes inspiré par les pratiques de bien-être que j'ai découvert, du Rap sain en quelque sorte. Comme l'explique Jean-Victor Blanc, psychiatre et activiste au sein de @culturepopetpsy on est pas obligé d'être névrosé.e pour faire de la musique, c'est même tout le contraire.”

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