En thérapie avec Patanjali

Patanjali est un philosophe indien qui vivait 200 ans avant Jésus Christ. Il est l’auteur des Sutras, le texte fondateur du Yoga. Dans les Sutras il décrit avec beaucoup de lucidité le fonctionnement de l’esprit humain. Il propose aussi des techniques pour se libérer de ses dysfonctionnements mentaux qui ressemblent comme deux gouttes d’eau ...aux T.C.C, les thérapies comportementales et cognitives, un corpus de thérapies théorisées par l’école de Stanford.

Camille préconise les deux thérapies. Après son post-doctorat en Neurosciences à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, elle s’est formée aux thérapies comportementales et cognitives puis au Yoga de Patanjali.



Charlotte Multon : A quoi ca ressemble concrètement une T.C.C. ? 


Camille Allene : Ce sont des thérapies, au pluriel. Il y a plusieurs outils dedans. Elles sont très pragmatiques et traitent des problèmes spécifiques.

Avec le thérapeute on fait ce qu’on appelle l’analyse fonctionnelle, c’’est à dire qu’on va partir d’un problème spécifique - une phobie, un TOC, un syndrome dépressif, une crise d’angoisse - et on co-construit la thérapie du patient à partir de plusieurs questions : comment ca se fait que ce problème est apparu ? Qu’est ce qui le déclenche ? qu’’est ce qui l’entretien ? quelles sont les pensées automatiques associées ?



Charlotte Multon : Parfois c’est plus facile de définir une chose par son opposé...c’est quoi la différence entre les psychanalyses et les T.C.C. ? 


Camille Allene : Je ne peux pas trop parler à la place d’un psychanalyste, mais juste la grande différence c’est que les T.C.C. sont des thérapies beaucoup plus brèves, puisqu’on s’attaque au comportement problème et qu’on va essayer d’être le plus efficace possible pour le résoudre. Ca dépend des problèmes, en général au bout de 3 à 6 mois c’est résolu. Alors qu’une psychanalyse ca peut durer des années. Peut-être que dans les T.C.C. on s’appesantît aussi moins sur le passé. On est plus dans le présent. Qu’est ce qui déclenche aujourd’hui le comportement problème ? Et comment on va faire aujourd’hui pour se reconditionner sur un comportement plus fonctionnel ?)

Charlotte Multon : A quoi ca ressemble les exercices qu’on fait dans une T.C.C., si on est anxieux par exemple ?

Camille Allene : Si on est anxieux c’est un peu trop vague pour les T.C.C.. On va demander pourquoi la personne est anxieuse, qu’est ce qui se passe concrètement dans sa vie. Par exemple il peut y avoir des attaques de panique, un sentiment d’être dépassé. On va analyser exactement dans quel contexte cette attaque survient et quel est son comportement à ce moment là : qu’est-ce que la personne dit, qu’est-ce que la personne fait, comment elle se sent etc.

Derrière toutes ces situations il y a généralement l’émotion primaire de la peur. Dans les phobies, c’est le cas extrême de la peur, il y a quelque chose qui a priori n’est pas dangereux mais qui va déclencher une forte réaction au stress, comme une petite araignée. L’idée c’est de se confronter à ses peurs, en suivant certaines règles. On y va pas comme des bourrins. Quoi qu’il y a une technique où on peut y aller assez fort, mais c’est assez dangereux. Généralement on y va de manière progressive, par exemple si on a la phobie des araignées on va se confronter d’abord par un dessin, de plus en plus réaliste, puis une photo, puis une araignée en plastique. Et à chaque fois on reste face à sa peur, jusqu’à ce qu’elle se dégonfle toute seule.

Charlotte Multon : Donc c’est observer et accepter les pensées dans sa tête et petit à petit reconditionner sa réponse à la peur avec des nouveaux comportements.

Camille Allene : Oui sachant qu’au début c’est moins noble que ca ! Au début on subit. Et en fait c’est l’idée de se faire surprendre par le fait que, à un moment et sans qu’on sache pourquoi, la réponse au stress a une fin. L’anxiété ne monte pas indéfiniment. Il y a un plateau et ca redescend derrière. Du coup on est surpris de voir qu’en fait tout va bien. Et on va réapprendre à se confronter, jusqu’à atteindre ca. Toi quand tu parles d’observation des pensées, c’est plutôt quelque chose qu’on fait après la session d’exposition, se demander “à quoi j’ai pensé à ce moment là ?” et de voir comment ca évolue. On développe ce qu’on appelle sa méta-cognition. C’est pas tellement au moment de l’exposition qu’on le fait le plus.

Charlotte Multon : C’est ta connaissance du cerveau qui t’a guidée vers les T.C.C. ?

Camille Allene : Oui j’ai été séduite par les T.C.C. parce que j’ai vu à quel point elles mettent en jeu les lois qui gouvernent nos fonctions cognitives et notre mémoire émotionnelle. Même si le lien direct entre la plasticité de nos neurones et les résultats comportementaux chez l’homme n’est pas encore 100% établi, on a tout un faisceau de preuves indirectes. On suppose par exemple que quand on remodèle sa mémoire émotionnelle avec les T.C.C., sur le plan neuro il y a des mécanismes de renforcements ou d’affaiblissements de connections synaptiques qui codaient l’ancien comportement... C’est un peu compliqué d’expliquer comme ça hahaha

Charlotte Multon : Plus étonnant pour une neuroscientifique comme toi, tu t’es aussi formée à la pratique plus ésotérique du Yoga ?

Camille Allene :
Oui ! Après j’ai commencé le Yoga en même temps que la lecture d’un livre ”Au bonheur de la méditation” écrit par un moine tibétain, comme Matthieu Ricard, sauf que c’est un tibétain. Il a fait cobaye pour plusieurs études qui ont été réalisées par des neuroscientifiques tout à fait sérieux et fiables. Parce que le Yoga, on parle beaucoup des postures, mais c’est avant tout une philosophie. Et l’outil qui permet le plus efficacement d’accéder à la libération de ses souffrances c’est la méditation. Il y a une signature particulière du cerveau en méditation. Toutes ces questions là m’ont touchée en tant que neuro-scientifique. Donc je suis allée confiante vers le Yoga.

Charlotte Multon : Tu t’es notamment beaucoup intéressée à la philosophie du Yoga, qui est une philosophie très pratique, très fonctionnelle. Est-ce que tu peux nous parler de ce qui t’a intéressée dans cette philosophie ? 

Camille Allene : J’ai été frappée de découvrir à quel point il y a 3000 ans ils connaissaient déjà le fonctionnement de l’esprit humain. On en arrive aux mêmes conclusions aujourd’hui avec nos enregistrements éléctroencéphalographiques. Mais eux ils avaient compris ça avant toute cette technologie, de manière empirique avec leur propre expérience. J’ai été frappée par cette connaissance profonde du fonctionnement du mental. Et en effet c’est très pratique comme philosophie. Les Yogas Sutras nous invitent à faire l’expérience de cette connaissance pour la découvrir par nous même. Et j’ai trouvé ça génial d’avoir les deux visions : celle de la neuroscientifique qui essaye de comprendre les mécanismes neuronaux sous-jacents et l’expérience subjective du Yoga. Donc je me suis mise à la méditation énormément, et au Yoga. Le but de la philosophie de Patanjali c’est d’arrêter les fluctuations du mental.

Donc premier constat : il y a une grosse fluctuation du contenu mental, des pensées automatiques qui ont une charge émotionnelle. Et quand on regarde le cerveau à l’IRM en effet on se rend compte que le cerveau n’est jamais au repos : soit il est concentré sur une tâche, soit il est dans le réseau du mode par défaut qui correspond à nos pensées automatiques qui activent plusieurs aires cérébrales. Enfin bref tout ce qu’avait remarqué les pratiquants il y a 3000 ans on le redécouvre aujourd’hui avec la technologie. Et ça c’est assez fascinant !

Charlotte Multon : Dans les Sutras de Patanjali il y a aussi la notion que l’ignorance, Avidya en sanskrit, serait la cause de nos dysfonctionnements mentaux. Ici l’ignorance n’est pas à prendre au sens littéral. Ca ne veut pas dire qu’on manque de culture générale...On pourrait presque le traduire comme de l’irrationalité ? 

Camille Allene : Oui en tout cas l’ignorance de la nature de la réalité. La réalité nous échappe à disons 99%. Déjà nos organes des sens ne captent qu’une infime partie de la réalité, pour les couleurs par exemple, on ne voit pas l’entièreté du spectre. En plus ces informations sont re-traitées pour qu’on ait une représentation de l’entièreté du monde mais c’est très sommaire en réalité. Pour être le plus efficace possible, tout le fonctionnement du cerveau se base sur une représentation du monde qu’il a déjà, partielle, très grossière et souvent très anticipée qui ne correspond pas du tout à la réalité. Donc entre les biais cognitifs, nos sens limités, le fait qu’on utilise notre mémoire pour anticiper le monde et que notre attention ne peut se focaliser que sur une seule chose à la fois, non on n’a pas accès à la réalité telle qu’elle est !

Charlotte Multon : Comment on se libère de l’ignorance et de l’irrationalité ?

Camille Allene : Je dis souvent qu’il y a deux façons d’utiliser ces fonctions cognitives : une façon qui est très influencée par nos viscères et nos états émotionnels et une façon plus supervisée par notre cortex pré-frontal. Pour limiter nos biais cognitifs, il existe des techniques comme la technique de résolution de problèmes qu’on utilise en T.C.C.

Charlotte Multon : Tu m’as tellement parlé de cette technique de résolution de problèmes qu’on a décidé de l’enseigner pendant les stages de Yoga, en mêlant les T.C.C. et le Yoga. 

Camille Allene : Oui je crois que les T.C.C. et le Yoga sont archi complémentaires ! La dernière vague des T.C.C. s’inspire énormément de ses traditions du Yoga, en ajoutant la méditation pleine conscience laïcisée pour en faire une technique incluse dans les T.C.C. On fait souvent une T.C.C. quand on a un problème spécifique. Alors que le Yoga on y vient parce qu’on a une souffrance un peu plus générale. Le Yoga c’est une philosophie de vie qui fait partie de nous alors que les TCC règlent des problèmes spécifiques. Si on incarne la philosophie du Yoga, on aura à peu près résolu la plupart de ses souffrances intérieures, et on aura peut être jamais besoin d’aller vers les T.C.C.

Charlotte Multon : Ses souffrances intérieures parce que jusqu’à preuve du contraire, le Yoga ne résout pas ses problèmes administratifs ! 

Camille Allene : Tu as raison dans les T.C.C. il y a cet outil de résolution de problèmes qui est très pratique et même si on incarne cette philosophie du Yoga qui est très pratique aussi on pourra toujours avoir des problèmes. Mais un Yogi chevronné fera cette résolution de problèmes naturellement. Parce que la résolution de problèmes nous permet de mettre en évidence nos biais cognitifs. Et quand on a cette connaissance de ces biais mentaux et de toutes ces fausses croyances et pensées dysfonctionnelles, on définit beaucoup plus vite le problème et la solution.

Charlotte Multon : J’ai l’impression que les T.C.C. sont presque des prémisses ou les fondations qui permettent de régler certains dysfonctionnements mentaux, avant d’atteindre des états supérieurs grâce au Yoga.

Camille Allene : Oui les TCC peuvent représenter une porte d’entrée pour les occidentaux qui sont comme nous sceptiques et inquiets par l’ésotérisme.

Charlotte Multon : Une question que je me pose souvent c’est aussi comment on reconnaît un vrai problème d’un faux problème ?



Camille Allene : Quand on pratique beaucoup le Yoga, on a naturellement moins de problèmes. Parce qu’il faut savoir qu’une partie des problèmes sont crées par notre cerveau dans un réseau neuronal qui s’appelle le réseau du mode par défaut. Parfois ce mode par défaut est tout à fait fonctionnel, il nous permet de nous organiser par exemple. Mais quand on est anxieux ou dépressif le contenu du mode par défaut peut être dysfonctionnel, on va ruminer le passé ou anticiper de manière anxieuse le futur.

Si on se met dans le présent, d’un coup on élimine beaucoup de problèmes. Le Yoga nous permet de retrouver des pensées automatiques saines.

Par contre si on incarne un peu trop la philosophie du Yoga... on risque de se marginaliser et d’être un peu à côté de la plaque ! Par exemple le Yoga nous invite au non jugement et c’est très bien de faire ça de temps en temps. Mais évidemment notre jugement nous sert aussi pour prendre des décisions au quotidien. Si on est trop à fond dans la philosophie du Yoga on est un peu illuminé et on ne vit que de Prana.

Charlotte Multon : Ce qui peut être un choix !

Camille Allene : Tout à fait, mais ce n’est pas le notre. Personnellement je trouve ça plus intéressant d’utiliser ces outils pour être plus heureuse et efficace dans la société, comme à l’hôpital avec mes patientes.

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