L’erreur de Freud

Lorsqu’on traverse une crise d’angoisse ou une dépression, on se pose rapidement cette question : à qui confier sa santé mentale ? Souvent on demande conseil à son cercle intime, de peur d’être pris en flagrant délit de faiblesse mentale. Il y a l’’énergéticienne qu’on se refile sous le manteau “Tu devrais aller voir Sabine, elle fait des miracles.” et les bons plans familiaux de la famille “Va voir le Dr. Gourouben, ton oncle Octave squatte sont divan depuis 25 ans.” En France, sur 13 000 psychiatres, 70 % pratiquent la psycha­nalyse. C’est une exception française. Dans les pays nordiques et anglo-saxons, elle n’est quasiment plus enseignée aux professionnels de la santé mentale, reléguée en fac de philo et de lettres.

Au pays de Descartes, on se pose rarement la question de l’efficacité thérapeutique. Est-il seulement possible de rationaliser le soin de l’esprit ? L’opposition des sciences sociales - philosophie - et des sciences naturelles, et au sein de la médecine de la psychiatrie et de la neurologie, sont des pistes d’explication de cette aberration. Mettons de côté l’homophobie, la misogynie, et la mauvaise foie scientifique de Freud qui imprègnent sa théorie Oedipienne. (Si le sujet vous intéresse vous pouvez en apprendre plus dans le Livre noir De la psychanalyse, dont je me suis largement inspirée pour écrire cet article.)
La psychanalyse repose sur le postulat que nos actions et nos pensées sont dirigées par un inconscient refoulé qu’il faudrait exhumer des profondeurs de notre âme. Grâce à une meilleure compréhension des processus cognitifs de la conscience, on sait aujourd’hui que cette théorie repose sur une illusion, crée de toute pièce par notre cerveau. L’inconscient existe bel et bien. Il représente même 85% de notre activité mentale. Mais il fonctionne très différemment de l’inconscient fabulé par Freud.



L’inconscient Freudien est une illusion

Les théories Freudiennes reposent sur l’idée que nos pensées sont dirigées par les pulsions du moi profond. Le surmoi refoulerait ses pensées, ce qui serait la cause de toutes nos souffrances mentales et notamment de l’hystérie féminine. On sait aujourd’hui que ces théories reposent sur une illusion crée de toute pièce par notre cerveau. A partir de nos perceptions du monde extérieur et d’images mentales générées par notre cerveau, ce dernier crée des histoires cohérentes à la vitesse de la lumière.
C’est la théorie du cerveau plat avancée par Nick Chater, professeur en sciences du comportement à l’université de Warwik. La rapidité de l’interprétation de ces signaux par le cerveau explique l’illusion de profondeur, comme si ces histoires étaient déjà inscrites quelque part dans nos neurones ou dans les tréfonds de notre âme. Le cerveau fait son cinéma dans un réseau cérébral qu’on appelle le mode de fonctionnement par défaut. Dans sa version fonctionnelle, ce réseau est impliqué dans la cohérence de notre identité, l’image du soi, la mémoire autobiographique et nos aspirations “profondes”.
Dans sa version dysfonctionnelle, il est associé à une rumination excessive, l’un des symptômes de la dépression et de l’anxiété.

Le storytelling permanent du cerveau est à l’origine d’une deuxième illusion : le libre arbitre.

“L'un des résultats les plus étonnants de la recherche sur l'action a été de montrer que même les actions volontaires les plus ordinaires sont lancées inconsciemment avant de faire l'objet d'une « décision consciente ». Le neurochirurgien américain Benjamin Libet a en effet pu établir que, lors d'un acte simple de flexion délibérée du doigt, l'agent devient conscient de sa volition 200 millisecondes avant que le muscle se contracte, mais 350 millisecondes après que son cerveau a engagé la planification de cette action. Le cerveau prépare donc l'action avant . même que le sujet ait conscience de vouloir l'exécuter9. La conscience ne peut dès lors avoir qu'une contribution très tardive à l'action corres­ pondante : elle peut être impliquée dans l'arrêt de l'activité - il reste 200 millisecondes avant la contraction musculaire - mais non dans son initiation.” 
La psychanalyse au risque des neurosciences, Le livre noir de la psychanalyse

L’appropriation de l’activité mentale par le “Je” est tellement rapide que notre cerveau nous laisse avec cette impression de toute puissance.

Si elle repose sur une hypothèse erronée, on pourrait imaginer que la méthode psychanalytique soit efficace pour d’autres raisons. Ce n’est malheureusement pas le cas : d’après une expertise de l’INSERM, les psychanalyses ne seraient efficaces que pour 1 cas pathologique sur 16.

Au mieux, elle encourage une fascination du soi un peu stérile. On peut passer sa vie sur le divan, à emmêler et démêler les chemins neuronaux du mode par défaut. Au pire, elle enfonce des personnalités dépressives dans une auto-rumination et entretient l’illusion que c’est soi (et ses parents) le problème.

L’inconscient vu par les neurosciences

Est-ce que cela signifie que l’inconscient n’existe pas ? Au contraire, notre activité mentale est essentiellement inconsciente. Mais cet inconscient est très différent de l’inconscient imaginé par Freud. La conscience c’est la pointe de l’Iceberg. L’inconscient est l’ensemble des processus cognitifs et physiologiques hors d’accès à notre conscience. Il n’a pas de sens à priori.

Nous sommes déterminés par cette activité mentale inconsciente et même de notre activité physiologique, également impliquée dans la conscience du soi comme l’explique la neuro-scientifique Catherine Tallon-Baudry dans ce podcast Conscience incarnée de Sciences cognitives. On sait par exemple que le moment où on prend nos décisions est en grande partie influencé par le cycle de la respiration, la décision consciente d’agir intervenant souvent au moment de l’expiration.

La morale de cette histoire est que vous n’êtes pas plus fort que votre cerveau (ou que votre corps). Ce qui se passe dans votre tête, l’image que vous vous faites de vous-même, les décisions que vous prenez sont le produit de son activité. Certains trouvent ca désespérant, d’autres libérateur. Est-ce à dire que nous sommes les esclaves de notre cerveau, condamnés à vivre au rythme de ces ruminations ?

En s’appuyant sur cette nouvelle conception de la conscience et du cerveau, il est possible d’influer le cours de l’activité mentale. C’est le pari des thérapies comportementales et cognitives ainsi que du Yoga de Patanjali.

Manuel pour une conscience fonctionnelle

A la différences de la psychanalyse, les T.C.C. ont fait leur preuve. Elles sont efficaces dans 15 troubles mentaux sur 16 d’après une expertise de l’INSERM. Ces techniques fonctionnelles et pratiques s’appuient sur une compréhension de l’esprit humain validée par les neurosciences. Ces méthodes ne sont pas pour autant parfaites ni exhaustives. Par exemple, elles sont plus efficaces sur le long terme - moins de risque de rechute - pour la dépression lorsqu’elles sont associées à la mindfulness, médiation pleine conscience en français. En tant que professeure de Yoga, je vois beaucoup de similarités entre les T.C.C. et et la philosophie pratique théorisée dans les Sutras de Patanjali, le texte fondateur du Yoga.

Développer la méta-cognition

Dans les T.C.C., on s’attache à reconnaître les croyances subliminales qui modèlent la pensée consciente. Cette reconnaissance passe par des exercices écrits comme lister ces pensées et leurs conséquences émotionnelles et comportementales, ou distinguer les faits de ses interprétations.

Exemple d’exercice de T.C.C. extrait du Livre noir de la psychanalyse

Cet exercice est particulièrement utile quand ces croyances subliminales sont dysfonctionnelles comme “Tout le monde doit m’aimer pour que j’existe” ou ”Je suis nul.” ou “L’action d’autrui doit correspondre à mes attentes et mes valeurs”. Ces pensées parfaitement irrationnelles sont à l’origine de beaucoup de nos frustrations. Dans les Sutras - aphorisme - Patanjali parle de Kleshas, qu’on pourrait traduire par croyances limitantes et qui sont au nombre de cinq : l’ignorance, l’attachement, l’aversion, l’égotisme du “moi” et l’instinct de survie. Dans la tradition Yogi, on accède au Kleshas à travers l’observation mentale autrement appelée méditation de pleine conscience. Ces deux pratiques ont pour effet de développer la méta-cognition, l’acceptation et la prise de recul sur son activité mentale. Cette méta-conscience est aussi associée à une identité moins rigide et un “Je” moins tyrannique. Dans notre cerveau, une méta-conscience aiguisée se matérialise par un meilleur contrôle de l’activité du réseau du mode par défaut par les circuits impliqués dans l’attention.

”Tous ces efforts pour calmer un esprit agité. De tels efforts augmentent l’activité dans la zone pré-frontale dorsolatérale, un circuit clé pour réguler le mode par défaut. (...) Trois jours de pratique des méthodes de pleine conscience renforcent les connections entre les circuits de contrôle et les zones du pré-frontal cortex impliquées dans le réseau par défaut, une région impliquée dans les pensées auto-centrées. “ Les pratiquants long terme - on parle ici de +9000 heures de pratique - n’ont même plus besoin de produire d’efforts conscients. Leur mode par défaut est désactivée par défaut.

“Etonnamment, les méditants long-terme montraient le même déclin de connectivité dans le circuit du mode par défaut lorsqu’ils étaient au repos que lorsqu’ils étaient engagés dans une pratique de pleine conscience. Cela pourrait être le signe d’’un changement structurel du cerveau et d’un trait de personnalité du méditant. On retrouve cette même baisse de connectivité , comparé à des non-pratiquants dans un étude réalisée en Israel auprès de pratiquants chevronnés, cumulant plus de 9000 heures de méditation.” Extraits traduits d’Altered Traits, Richard Davidson.

Entraîner la rationalité

Albert Ellis est l’un des précurseurs des TCC. Après un début de carrière infructueux comme psychanalyste, Albert Ellis retourne à ses amours de jeunesses : Spinoza, Epictète, et Marc-Aurèle. Il remarque que les thérapies comportementalismes sont plus brèves et efficaces que les thérapies freudiennes.

“Comme il l’écrit lui-même c'est en apprenant à utiliser sa tête et en devenant un résolveur de problèmes têtu et obstiné » qu'il a réussi à surmonter une enfance difficile dans le Bronx, la maladie à quatre ans, l'Amérique de la grande dépression en crise.

Exercice de T.C.C. extrait du livre noir de la psychanalyse

Au lieu de chercher le sens existentiel des problèmes de ses patients, Albert s’attache à les résoudre avec sagacité. C’est aussi le pari de Patanjali qui encourage ses disciples à sortir de leur ignorance, Avidya en sanskrit. Ici l’ignorance décrit les attentes irrationnelles des humains quant à la réalité. Il est possible de se détacher des ses fausses perceptions en observant les règles qui gouvernent au fonctionnement de notre esprit et du monde qui nous entoure : logique, probabilités, lois naturelles en sont plusieurs exemples. Il s’agit aussi de déjouer les pièges de notre esprit, les fameux biais cognitifs.

Cultiver les émotions positives

La rationnalité est-elle suffisante pour changer ?

Albert Ellis écrit “Je me rends compte que certains patients vont mieux dans leur vie, mais leur anxiété, leur dépression, leur colère et leur propre haine d'eux-mêmes ne s'amélioraient guère. Je ne suis pas satisfait et je réalise de nouveau que ceux qui bénéficient d'une prise en charge plus courte, qui comprennent plus vite certaines attitudes liées au passé, ceux-là n'arri­vent pas à quitter leur sentiment de dépression, d'anxiété ou d'hostilité.”

Le déploiement de la rationalité ne se fait pas au détriment d’un travail émotionnel.

Au contraire la rationalité est un outil au service des valeurs qui gouvernent nos choix de vie. Ces valeurs sont la raison d’être de la raison.

Dans les Sutras, Patanjali propose une éthique fonctionnelle, pour vivre en harmonie avec soi-même et les autres. Ce sont les Yamas et Nyamas parmi lesquels on retrouve les valeurs de non-violence, l’honnêteté, la discipline, ou l’étude de soi. Il prescrit aussi des mantras, littéralement “sauver l’esprit”, ou la répétition de pensées positives en chants ou en prières.

Si on s’en réfère aux Neurosciences, c’est logique de s’occuper des émotions puisqu’elles constituent le noyau de notre rationalité. Le cerveau est construit comme un oignon. Au coeur c’est le cerveau limbique et l’amygdale où sont codés nos émotions à valence positive ou négative. Ce cerveau limbique est enveloppé par la matière grise du néo-cortex, siège de l’attention, de nos réflexions et décisions. Les deux communiquent en permanence : les émotions guident nos décisions, le néo-cortex régule à son tour les émotions.

“La structure cérébrale à laquelle les neurosciences ont consacré le plus de travaux est le cortex cérébral. On peut se le représenter comme un manteau enveloppant toute la surface des hémisphères cérébraux, y compris au sein des sillons qui donnent à son cerveau son aspect plissé caractéristique. Ce manteau possède une épaisseur d’environ 3 mm. Toute la matière grise située en dessous du cortex - les noyaux dont l’amygdale - est dite subcorticale.” extrait de l’Erreur de Descartes

passer à la pratique

”Le patient qui veut se libérer de réactions bien ancrées (des pensées anxieuses, des compulsions, etc.) ne peut pas se contenter de parler et de recevoir des interprétations pendant une ou deux heures par semaine. Il doit effectuer, dans la vie quotidienne, des « tâches théra­peutiques », c'est-à-dire des observations méthodiques et des essais de nouveaux comportements. Les T.C.C. ne sont pas de la magie, mais des situations d'apprentissage qui demandent des efforts bien ciblés.” Le livre noir de la psychanalyse

Dans les T.C.C. comme dans le Yoga, nous sommes encouragés à transposer ces nouvelles habitudes cognitives dans nos comportements.

Le deuxième chapitre des Sutras, Sadhana Padha - i.e. : pratique en Sanskrit - **est consacré à ce passage à l’action. Patanjali préconise de répéter ces techniques, quotidiennement, longtemps et sans interruption.

L’efficacité de cette méthode pratique s’explique par la neuroplasticité du cerveau : il est possible d’apprendre de nouveaux comportements et des les inscrire dans nos comportements par défaut à force de répétition. Cf article précédent sur la neuroplasticité en pratique.

C’est cette philosophie éclairée par les neurosciences et ancrée dans la pratique que l’on vous transmet à l’école Sadhana. Dr Camille Allene vous transmet les Neurosciences appliquées au Yoga et la technique de résolution de problèmes inspirée des T.C.C. Pr Charlotte Multon vous transmet des techniques de Yoga - postures, respirations, philosophie, chants - pour incarner ces pratiques et les transposer dans votre quotidien.

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