On ne nait pas rationnel, on le devient

Je suis allée en Inde pour apprendre à tenir sur la tête. J'y ai découvert les Sutras de Patanjali, un manuel de psychologie datant de 200 avant J.C. 

C'est en me plongeant dans la philosophie du Yoga que j'ai compris à quel point j'étais ignorante.
A l'école j'étais souvent en tête de classe. Après un passage à vide à Sciences Po oú j'étais plus occupée à faire la fête que réviser mes cours d'éco, je me suis passionnée pour l'entrepreneuriat. Je connaissais toutes les start-up parisiennes et leurs dernières levées de fonds.


Par contre, je ne connaissais pas grand chose de mon esprit et de son fonctionnement.

Ma connaissance se limitait à l'expérience subjective de ma psychée, parfois angoissante, souvent auto-centrée, majoritairement fluctuante. J'étais aussi maladroite dans ma manière de raisonner, surtout lorsqu'il s'agissait de mes problèmes personnels. 


A la racine de l'ignorance


En Sanskrit Avidya signifie ignorance : l'ignorance de notre réalité, la réalité commune.
Dans les Sutras, Patanjali nous parle de cinq illusions qui limitent notre connaissance, de nous-même et du monde :
- Asmita, qu'on pourrait traduire comme "égo-centrisme" ou la perception du monde à travers la première personne
- Raga, ou "attachement" à ce qui semble nous définir
- Dvesha, qu'on pourrait traduire comme "aversion" ou le rejet de ce qui n'est pas nous ou notre identité
- Abhinivesah, qu'on pourrait traduire comme la "peur de la mort" ou "l'instinct de survie".


Le biais de partialité 

Les fans de déconstruction reconnaîtront là les fondations de certains biais cognitifs : 

excès de confiance, illusion de synchronicité, biais d'ancrage, biais de négativité, biais de disponibilité… 

Le plus puissant de ces biais étant le biais de partialité.
"Dans the Bias that Divides us, le psychologue Keith Stanovich montre qu'on le retrouve dans tous les groupes ethniques, tous les sexes, tous les styles cognitifs, tous les niveaux d'étude et tous les percentiles de QI et même chez les personnes trop intelligentes pour buter sur d'autres biais cognitifs comme la fréquence de base et l'erreur du parieur."

Rationalité, Steven Pinker


Le biais de partialité est la tendance à vouloir rester cohérent avec ses valeurs et son identité, quoi qu'il nous en coûte.
Le biais de partialité explique que vous soyez prêts à vous tirer une balle dans le pied pour respecter nos valeurs, politiques, religieuses ou culturelles.
"Le biais de partialité n'est pas un trait de personnalité général mais s'active en fonction de certains sujets sensibles ou brûlants liés à l'identité de la personne qui raisonne." 

Rationalité, Steven Pinker

C'est le cas par exemple pour les sujets politiques. "C'est aujourd'hui le clivage gauche-droite qui écartèle la rationalité et non pas les lignes de faille habituelles que sont la religion, la race et la classe. L'axe droite gauche s'aligne sur plusieurs dimensions morales et idéologiques : hiérarchiques contre égalitaires, liberté contre communauté, trône et autel contre Lumières, tribal contre cosmopolite, visions tragiques contre utopiques, cultures de l'honneur contre cultures de la dignité, morales contraignantes contres morales individualisantes. Mais les récents volte-face dans le soutien de tel ou tel camp - immigration, commerce, Russie, etc. - laissent entendre que les camps politiques sont devenus des tribus socio-culturelles et non pas des idéologies cohérentes."
Rationalité, Steven Pinker

Cette relation identitaire à la politique a éclaté à l'occasion des élections présidentielles. Lorsque j'interrogeais mes amis sur leur ressenti suite au débat Macron-Le Pen, les mélenchonistes regrettaient l'attitude arrogante de Macron et reconnaissaient volontiers la capacité de Le Pen à adresser les sujets du peuple. Les macronistes percevaient l'intervention de Macron comme un juste retour de bâton face aux diffamations d'une Le Pen qui connaissait mal ses dossiers. C'est comme si les deux clans avaient regardé deux débats différents.
On peut maintenant expliquer ce biais de partialité par des propriétés intrinsèques de notre cerveau. J'ai déjà parlé du réseau du mode par défaut dans cet article. Ce réseau neuronal est impliqué dans notre identité, l'image du soi, la mémoire autobiographique et nos aspirations "profondes" qui semblent constituer un moi cohérent et consistant.
Notre cerveau tisse ce récit personnel à la vitesse lumière, créant l'illusion d'un moi profond, préexistant à la pensée.
 

"L'individu rationnel voudrait bien se convaincre probablement que sa pensée est libre d'affects qu'elle s'exerce selon la logique pure des concepts. Mais il n'en est rien. La moindre idée incline l'individu vers une autre qui lui est liée pour des causes souvent inconnues ; une représentation peut affecter l'individu à son insu avant de le diriger vers telle ou telle autre représentation parce que le mental telle une rivière est agité par une multitude de petits courants d'affects qui lui donnent sa couleur unique.
Il revient donc à l'ascète d'affaiblir certains courants, d'en favoriser d'autres afin de faire suivre au mental la pente qui conduit vers l'intuition discriminatrice.
" sutra 2.3 extrait de l'encyclopédie du Yoga d'Ysé Tardan-Masquelier. 


Patanjali nous dit que nous sommes ignorants par défaut, prisonniers de nos motivations et de notre point de vue étriqué.
Doit-on pour autant renoncer à SA vérité ?

Sans abandonner ses goûts et ses couleurs, on peut tenter de se rapprocher de la réalité.
Il est possible de se décentrer moyennant quelques efforts, pour notre propre bonheur et celui des autres. 

Se rapprocher de la réalité grâce au Yoga

Pour se libérer de ses biais, Patanjali préconise trois formes d'action :


1. Tapas - littéralement énergie ou chaleur, qu'on peut aussi traduire comme discipline.
Tapas est toute forme de pratique qui nourrit notre sagacité et affaiblit nos passions.

Vous avez sans doute déjà entendu parlé de l'expérience du chamalow oú on soumet un enfant à deux alternatives : manger un chamalow maintenant ou attendre pour en obtenir un deuxième.
"Des études où l'on observe des volontaires dans un scanner en les soumettant à des versions pour adultes du test du marshmallow confirment que différents schémas cérébraux sont activés par des pensées de gratification imminentes et lointaines"
Une pratique de Yoga - postures, respiration profonde - peut contribuer à affaiblir le premier et renforcer le deuxième.


2. Swadyaya - qui signifie l'étude de soi. Dans l'Inde de Patanjali, on pratiquait souvent Swadyaya à travers l'étude de textes de philo.

Camille Allene, Dr en Neurosciences et enseignante à l'école Sadhana, nous met en garde contre notre système de pensée 1 ou système de pensée intuitif .
"Dans ce système de pensée on est plus susceptible de faire des erreurs, surtout lorsqu'il s'agit de ses problèmes persos."
Elle s'est inspirée des T.C.C. - thérapies comportementales et cognitives - de sa connaissance des biais cognitifs, et du cerveau humain pour développer RESOLVE une méthode rigoureuse de résolution de problèmes personnels.

"C'est toujours quand on touche au problèmes personnels et surtout les plus intimes - famille, relations amoureuses, politique - qu'il devient difficile de se poser. On peut alors passer des semaines à ruminer. Avec la méthode RESOLVE, j'aide les gens à poser leurs problèmes persos comme des problèmes de maths en passant par plusieurs étapes"

C. Allene


Camille transmet cette méthode lors des stages "Devenir son propre thérapeute" à l'Ecole Sadhana oú l'on associe des outils rationnels - philosophie du Yoga, outil de résolution de problèmes - à la pratique psycho-corporelle du Yoga - Yoga thérapie, techniques de respiration. 


3.  Iswar pranidhana - ou le lâcher prise. Notre existence ne se limite pas à notre conscience. C'est l'idée contre-intuitive présentée par Patanjali. Elle est cohérente avec les découvertes récentes des Neurosciences sur la conscience : nous prenons conscience de nos pensées et nous les identifions comme "nos pensées" après qu'elles aient été générées par votre cerveau. En d'autres termes : vous n'êtes pas plus fort que votre cerveau.
Ou que votre corps d'ailleurs. Votre activité mentale dépend en grande partie de vos processus physiologiques. 

Alors pourquoi lutter ? Pour changer il est souvent plus efficace de s'observer avant d'agir.
C'est l'objet de la méditation pleine conscience oú l'on observe ses propres pensées sans y prendre part

Un an de bachotage de philo en terminale, des cours de proba souvent mal digérés, aucune notion de psychologie humaine : dans nos écoles françaises, on apprend peu à raisonner.


Il n'est pas trop tard pour commencer. L'école de Yoga apporte un bagage théorique et des outils pratiques pour entraîner la rationalité et affaiblir notre biais de partialité.

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